Question à Madame Cécile Jodogne, ministre en charge de la Santé
M. André du Bus. - Le vendredi 1er juin, la Mutualité chrétienne a organisé un colloque sur le thème de la santé positive. Il a rassemblé des centaines de professionnels actifs dans et en dehors du secteur des soins de santé. En marge de ce colloque, pas moins de 8.600 membres de la mutualité ont été interrogés sur divers aspects de leur vie quotidienne ayant une potentielle influence sur leur santé. Ainsi, la quasi-totalité des répondants associent à leur santé le fait d'être en forme et bien dans sa peau, d'avoir un sommeil correct, une nutrition équilibrée ou encore une bonne condition physique. Avoir une vie sociale et pouvoir gérer correctement son agenda ou s'occuper de soi sont également liés à la santé.
L'Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la santé comme « un état de bien-être complet, sur le plan physique, psychique et social». Mais selon la créatrice du concept de santé positive, cette définition est dépassée et il faudrait la revoir d'une manière plus positive. Il y a dix ans, cette femme médecin néerlandaise a défini la santé comme notre capacité à nous adapter à notre environnement, à faire face aux changements constants de notre vie et à prendre au maximum le contrôle des choses qui nous concernent. Elle a élaboré un modèle composé de six dimensions indicatrices d'une santé holistique, prenant en compte tous les aspects de la vie et pas seulement son aspect médical : fonctions physiques, bien-être mental, sens de la vie, participation sociale, qualité de vie et fonctionnement au quotidien. Elle a ensuite testé ces six dimensions auprès de 2.000 personnes.
Les résultats ont mis en exergue d'importantes divergences de perception de la santé entre patients et praticiens des soins de santé. Toutes les dimensions proposées sont importantes, mais la qualité et le sens de la vie sont aussi à prendre en considération. Sur la base de ces études, la Mutualité chrétienne a créé un site sur la santé positive, www.masantepositive.be. Chacun peut y faire un test pour savoir comment il envisage sa santé au sens large et mesurer son bien-être actuel. Chacune des six dimensions s'y retrouve et renvoie à sept questions reprenant 42 aspects ayant une influence sur la santé. Ce test peut être un outil de dialogue entre le patient et son médecin, et permettre à ce dernier d'accompagner et de motiver son patient pour qu'il utilise et renforce ses capacités d'adaptation. Nous savons que la Belgique bénéficie d'un système de santé particulièrement performant. Pourtant, les inégalités de santé se creusent.
Ce constat n'est pas nouveau et c'est une bonne raison de s'inspirer du modèle néerlandais. La Mutualité chrétienne entend poursuivre cet objectif. Son directeur estime, par ailleurs, qu'un changement de paradigme peut en émerger, mettant davantage l'accent sur la prévention des maladies et la promotion de la santé. Sur la base du travail réalisé par les mutualités, avez-vous pris connaissance de ce concept ? Qu'en pensez-vous ? Il nous rappelle la nécessité de veiller aux aspects de santé dans toutes les politiques publiques pour améliorer la qualité de vie et permettre une vie longue et en bonne santé. Sont concernés la protection sociale, la mobilité, l'aménagement du territoire, l'alimentation, le logement, les nuisances environnementales et les services collectifs. Qu'envisagez-vous comme mesures pour renforcer la transversalité ?
Mme la présidente.-La parole est à Mme Jodogne.
Mme Cécile Jodogne, ministre. - J'avais entendu parler de ce concept et j'ai pu en apprendre davantage, puisque mon administration était présente à la rencontre organisée par la Mutualité chrétienne. Vous me demandez ce que j'en pense. Votre question est vaste et je ne pourrai évoquer que quelques éléments de réflexion.
Aborder la santé avec une approche positive est évidemment une bonne chose, même si cela ne me semble pas franchement nouveau, car les acteurs de la promotion de la santé insistent sur cet aspect depuis longtemps. Une approche holistique est également un point intéressant et une caractéristique de la promotion de la santé. Du côté des acteurs médicaux, il y a sans doute des progrès à faire à cet égard.
L'outil réalisé à partir du modèle à six dimensions que vous citezconstitue un levier intéressant, qui pourrait conduire ces professionnels à envisager avec leurs patients les différentes composantes de leur vie qui influencent la santé, et non simplement les aspects somatiques et purement médicaux. Cependant, le vocabulaire utilisé dans les documents que j'ai pu consulter soulève quelques interrogations. La nouvelle définition de la santé proposée est la suivante : « la capacité à relever soi-même tous les défis physiques, émotionnels et sociaux de la vie ».
En écho à cette définition, les termes utilisés appartiennent à un champ lexical bien identifiable : attitude, motivation, capacité à s'adapter, à faire face, à gérer, à prendre au maximum le contrôle, pouvoir de résilience, contrôle de soi, etc. Je ne vais évidemment pas remettre en question l'importance de l'individu, de sa responsabilité et de son autonomie dans le domaine de la santé. J'ai suffisamment insisté moi-même sur la notion d' « empowerment », qui traverse l'ensemble des politiques que je mène en Commission communautaire française.
Nous savons aussi que la santé dépend d'une grande variété de déterminants et que l'action sur ces déterminants est complémentaire de l'action individuelle. On l'a encore évoqué ce matin. Nous devons privilégier des approches qui établissent ce lien entre l'individu, le collectif et l'ensemble des déterminants de la santé dépendant des différentes politiques publiques. Là, j'avoue que je ne vois pas ce que ce concept de santé positive apporte de nouveau. Le dossier de presse mentionne effectivement l'intérêt qu'il peut avoir au niveau méso et macro, notamment pour les politiques publiques mais il reste laconique quant à la méthode qui permettrait de passer concrètement du niveau individuel à ces autres niveaux.
Mal utilisé, ce concept pourrait même, à certains égards, se révéler contre-productif. L'outil proposé aborde six dimensions : les fonctions physiques, le bien-être mental, le sens de la vie, la qualité de la vie, la participation sociale et le fonctionnement quotidien. Pour évaluer chacune de ces dimensions, sept questions sont posées. Par exemple, pour la dimension relative au bien-être mental, à côté de l'item «je me sens heureux », d'autres sont proposés tels que « j'ai le contrôle de ma vie », «je cherche des solutions pour résoudre des situations difficiles », « je suis capable de bien me concentrer ».
On le voit, il y a une insistance sur les capacités des individus qui révèle une certaine conception du bien-être mental. Un autre exemple, pour évaluer la dimension liée à la qualité de vie, des items très différents sont proposés allant de « je me sens bien dans ma peau » à « j'ai suffisamment d'argent pour payer mes factures ». Je ne prétends pas que l'outil n'a pas d'intérêt. Je relève simplement que, comme tout modèle d'ailleurs, il comporte des présupposés idéologiques qui renvoient à une certaine conception de l'individu, de sa santé et de sa place dans la société.
Toute la question est de savoir si les individus concernés partagent bien cette conception. Si ce n'est pas le cas, le résultat du test peut créer un malentendu entre patients et soignants, et avoir des effets contre-productifs, par exemple, rendre l'individu totalement responsable de son état de santé. On peut également se demander si cet outil basé sur le langage est sensible aux différences individuelles et entre groupes sociaux. A-t-il la même validité selon le genre, la position sociale, le niveau d'éducation ou la culture du répondant ?
Voilà, Monsieur du Bus de Warnaffe, quelques interrogations qu'il me semble utile de soulever sur ce nouveau concept et les outils qui lui sont liés. Je reste évidemment ouverte à la discussion. Il pourrait d'ailleurs être intéressant que les acteurs de la santé soutenus par la Commission communautaire française puissent s'en saisir pour évaluer dans quelle mesure ces concepts et outils peuvent bel et bien être utiles à leurs pratiques et quelles sont leurs limites.
Mme la présidente. - La parole est à M. du Bus.
M. André du Bus. - J'aborderai deux éléments. Le premier est que l'outil, d'après ce que j'ai compris et entendu, se présente comme un élément d'interaction entre le médecin et le patient permettant précisément au médecin de discuter avec son patient d'une série d'éléments intégrant directement ou indirectement les préoccupations de santé. Toujours d'après ce que j'ai entendu, le médecin doit par conséquent passer plus de temps avec son patient et donc assurer par là une fonction sociale non négligeable. Cela pose donc aussi de nouvelles questions, intéressantes et pertinentes, par rapport au rôle du médecin. Il n'existe pas encore de réponses. Par exemple concernant la prescription. Quel sens pourrait-on donner à la prescription d'une analyse préventive ? Je l'ignore.
J'en arrive au deuxième élément. Ce qui me paraît très intéressant est que c'est une mutualité, donc une de nos institutions importantes, qui présente et officialise cette vision tout à fait transversal e de la santé. Cela représente un pas en avant permettant de considérer les grandes institutions de santé comme étant des partenaires d'une vision plus holistique de la santé.
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