Discussion avec Madame Céline Frémault, membre du Collège réuni de la Commission communautaire commune (COCOM) compétente pour l’Aide aux personnes
André du Bus. - Madame la Ministre, depuis les années 80, la vision du handicap évolue vers une notion plus systémique. Elle fait référence à un désavantage pour accomplir un rôle social, à un obstacle empêchant la personne de participer pleinement à la vie en société. Un environnement qui n’est pas adapté peut donc engendrer une situation de handicap. Différents arrêtés européens visent ainsi depuis quelques années à un élargissement de la notion de handicap, comme par exemple dans le cadre de maladies de longue durée.
Dans cette perspective, nous avons récemment appris qu’un arrêt de la Cour de justice de l’Union Européenne reconnaissait à présent l’obésité comme pouvant constituer un handicap. La Cour de justice estime, en effet, que dès le moment où la surcharge pondérale limite la participation de la personne dans son activité professionnelle, cette dernière peut être entendue comme personne handicapée et bénéficier des protections prévues dans ces conditions par la loi.
Concrètement, cette démarche de la Cour de justice permet de lutter contre les discriminations professionnelles telles que des refus d’embauche, d’octroi d’assurance ou encore d’adaptation de l’environnement à l’employé en surpoids.
Elle est bien entendu très louable car la discrimination des personnes en surpoids est inqualifiable, nous en convenons tous. Toutefois, je souhaite attirer l’attention sur le fait qu’il ne faut pas que cette reconnaissance de handicap limite les possibilités de la personne à lutter activement contre cette maladie chronique qu’est l’obésité. Nous le savons, différents facteurs sont responsables d’un surpoids morbide. Certains d’entre eux, comme l’activité physique et l’alimentation saine contribuent à rendre la problématique réversible et ne peuvent, selon nous, être vécue comme un état de fait, sans opportunité d’amélioration.
Il fait tout de même rappeler que l’obésité est dangereuse pour la santé. Tous les messages de prévention doivent donc impérativement aller dans le sens d’une prise de conscience des comportements de santé à acquérir pour endiguer la maladie.
Madame la Ministre, cette décision de l’UE amène une série d’interrogations que je souhaite donc vous adresser :
- Avez-vous pris connaissance de cet arrêté de la Cour de justice européenne ? Dans l’affirmative, quels facteurs sont pris en considération pour attester d’un niveau de surpoids qualifié d’handicapant ? Des critères objectifs tels que la référence au BMI sont-ils exploités ?
- Quels sont vos points de vue respectifs sur le sujet ? Comment comptez-vous contribuer à prendre en compte cette directive européenne à l’échelle bruxelloise ?
- En cas de demande d’aménagement de postes de travail d’employés bruxellois en situation d’obésité, quels sont les pouvoirs qui vont subventionner ces adaptations, notamment dans l’administration publique ? Des concertations avec vos homologues régionaux et fédéraux sont-elles prévues dans ce contexte ?
- Enfin, le Conseil consultatif de la santé et de l’Aide aux personnes projette-il de s’emparer de ce dossier ?
Je vous remercie pour vos réponses.
Madame Céline Fremault, Ministre. - Monsieur le Député, je vous remercie de votre interpellation. Vous faites référence dans celle-ci à un récent arrêt de la Cour de Justice de l'Union Européenne prononcé le 18 décembre 2014 sur un cas danois (affaire C -354 -13 - « Fag og Arbejde » versus « Kommunernes Landsforening »). L'affaire relève du domaine de l'emploi et du travail. La Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 interdit en effet toute discrimination directe ou indirecte fondée sur le handicap (entre autres) dans les matières précitées. Cette directive a pour objet de mettre en œuvre l’égalité de traitement et vise notamment à ce qu’une personne handicapée puisse accéder à un emploi ou l’exercer.
De plus, il irait à l’encontre de l’objectif de la directive si l’origine du handicap avait une importance pour l’application de celle-ci. En vertu de ce principe, la discrimination est interdite, ce qui signifie qu'il est interdit de traiter une personne de manière moins favorable qu'une autre personne dans une situation comparable sur base d'un motif lié au handicap.
Dans l'affaire soumis à la Cour Européenne, la discussion portait in specie sur le fait de savoir si le licenciement d'un assistant maternel, intervenant dans le cadre d'une diminution de personnel, trouvait oui ou non sa cause dans l'obésité du travailleur. Il était le seul personnel licencié. La définition de l'obésité est celle de l'Organisation mondiale de la santé sous le code E66 de la classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes de l'OMS (CIM 10).
Ceci répond, je pense, à la première des questions que vous avez posées. Dans l'affaire traitée par la CJUE se profilait une question de droit : il n'y a pas de fondement en droit de protection de la personne liée spécifiquement à l'obésité. La Cour de Justice détermine par sa jurisprudence, qui s'impose à nous, que cette obésité peut être incluse dans la notion de « handicap » et par conséquent bénéficier du principe de non discrimination.
La notion de « handicap » au sens de la directive doit être entendue comme visant une limitation, résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques durables, dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à la pleine et effective participation de la personne concernée à la vie professionnelle sur la base de l’égalité avec les autres travailleurs. La Cour souligne que cette notion doit être entendue comme visant non pas uniquement une impossibilité d’exercer une activité professionnelle, mais également une gêne à l’exercice d’une telle activité. Le gain juridique obtenu par la personne danoise se situe essentiellement dans le renversement de la charge de la preuve de la discrimination (article 10 de la Directive), puisque les parties se disputaient pour savoir comment, lors de l'entretien préalable au licenciement, on en était arrivé à parler de l'obésité et qui en avait parlé.
Cependant, dans votre interpellation, vous soulignez avec justesse que la reconnaissance ne doit pas être un obstacle à la lutte active contre cette maladie chronique qu'est l'obésité. L'ensemble des acteurs, en souahitant repecter l'application jurisprudentielle de la CJUE, se doivent de bien faire la balance entre les efforts visant à sortir les personnes de leur difficultés dans le cadre de la protection de la santé et les principes de non discrimination en raison de leur handicap. Dans l'affaire en cause, pendant toute la durée de son contrat de travail, ni la personne, ni l'employeur ne considérait celle-ci comme une « personne reconnue comme handicapé » mais les deux parties avait bien cerné le problème du surpoids. Le principe d'inclusion signifie aussi un mouvement réciproque de l'un vers l'autre.
Et je vous rejoins dans l'importance de sensibiliser les travailleurs à une bonne alimentation, à une pratique sportive et à une hygiène de vie de nature à suivre le principe « mens sana in corpore sano ». Dans sa politique sociale, un employeur peut dès lors prendre en compte les cas critiques par un soutien adapté. Dans l'affaire danoise, la personne avait d'ailleurs tenté de perdre du poids et avait perçu de son employeur une aide financière à ce propos. Il en avait perdu, mais temporairement. Comme personne en situation de handicap, l'employé est en droit de recevoir des aménagements raisonnables (article 5 de la Directive). C'est à l'employeur de prévoir les mesures appropriées, en fonction des besoins dans une situation concrète, pour permettre à la personne handicapée d'accéder à un emploi, de l'exercer, d'y progresser sauf si ces mesures constitue une charge disproportionnée.
Par exemple, si l'obésité oblige la personne à se déplacer en fauteuil roulant, l'employeur pourrait bénéficier des mesures des dispositifs d'inclusion développé par le SGS PHARE comme l'aménagement d'un poste de travail. Pour cela, il faut que la demande de reconnaissance de handicap soit introduite par la personne. Les critères inscrits à l'article 6, 3° du décret d'inclusion seront d'application, à savoir présenter un handicap qui résulte d'une limitation d'au moins 30 % de sa capacité physique. Je transmets l'arrêt de la CJUE au service PHARE afin qu'il soit parfaitement informé de l'évolution de la jurisprudence.
Une communication vers le Conseil Consultatif pourrait, comme vous le suggérez, être faite. Je souhaite terminer par un aspect un peu plus léger dans ma réponse et je conseillerai aux amateurs de bon cinéma belge, intéressé par la question de l'obésité chez les enfants, d'aller voir le film « Bouboule » du cinéaste belgo-suisse Bruno DEVILLE qui vient de sortir en janvier 2015. Je vous remercie pour votre attention.
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