Madame, Monsieur,
Chers Amis,
Nous sommes une vingtaine de parlementaires, anciens parlementaires, membres académiques et de la société civile à avoir eu la chance de découvrir le Nagorno-Karabagh ces dernières années. Ces voyages nous ont fait découvrir un pays montagneux magnifique, témoin des prémices de la chrétienté, puisqu’on y dénombre un nombre important d’églises et de monastères dont certains remontent jusqu’au premier millénaire. Le Nagorno Karabagh, ancienne terre arménienne, a adopté, depuis la chute du bloc soviétique, un régime démocratique vivant et respectable. Nous pouvons en témoigner. C’est aussi le théâtre de tensions permanentes qui fragilisent l’équilibre géostratégique du Caucase. Des tensions méconnues alors que les enjeux sont réels sur la scène internationale. L’actualité le démontre avec suffisance ces derniers jours. Nous y viendrons dans un instant. Ce sont toutes ces raisons qui nous ont poussé à créer voici trois ans un Cercle d’Amitié belge francophone avec le Nagorno Karabagh. L’objectif de ce Cercle est de structurer et de coordonner notre soutien à cette démocratie menacée par l’Azerbaïdjan, régime totalitaire. Nous avons publié une première Déclaration ce lundi 28 septembre.
C’est dans ce contexte que nous tenons à porter à votre connaissance un éclairage sur le conflit tel qu’il se développe depuis ce dimanche 27 septembre.
En commençant par une mise au point sémantique, fournie par Josy Dubie, journaliste membre du Cercle d’Amitié, qui fait référence aux propos de Michel Petrossian : « Actuellement les médias parlent d’affrontement entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, ainsi que de « séparatistes » arméniens. Sous les dehors neutres, ce dernier terme incline vers une connotation d’illégitimité, et le fait que deux pays « s’affrontent », sont « au bord d’une guerre » rend floues les responsabilités dans la situation. Le Haut-Karabagh est une région historique arménienne, c’est même, à un moment de l’histoire arménienne, la seule à être restée libre et autonome. Il y a par exemple, sur son territoire, l’un des principaux centres spirituels arméniens, le monastère de Gandzasar (« montagne du trésor »), qui remonte au XIIIe siècle, et qui est censé abriter l’une des principales reliques de l’église arménienne, la tête de Jean-Baptiste, apportée du Royaume Arménien de Cilicie. Non seulement le Haut-Karabagh a des vestiges innombrables de son histoire arménienne plurimillénaire, mais sa population originelle, avec tous les marqueurs d’identité tels que la langue, les coutumes, la religion, s’est maintenue également, à travers les siècles. L’incorporation du Haut-Karabagh dans l’Azerbaïdjan, république créée par les Soviétiques en 1918, est très récente. Staline l’a « octroyé » à l’Azerbaïdjan en 1921, malgré les 95% de sa population arménienne d’alors, et la contestation de cet octroi arbitraire par les populations concernées et par l’Arménie a été forte dès l’origine. A la dislocation de l’URSS, il y a eu une redistribution des cartes au sens propre comme au figuré, les territoires de l’URSS ayant été dessinés dans l’intérêt de l’Empire mais au détriment des nations, selon le principe d’un enchevêtrement aux frontières qui rendait très compliquée la séparation des territoires historiques et servait comme un obstacle à leur éventuelle constitution en états autonomes. Usant du droit à l’autodétermination des peuples, et pour éviter que toute sa population arménienne ne soit massacrée, la population du Haut-Karabagh a réclamé son indépendance. Réparation d’une injustice historique, sens naturel de l’histoire, réflexe élémentaire de survie, voilà les termes qui qualifient le geste de la population du Haut-Karabagh. Le « rendre » aujourd’hui à l’Azerbaïdjan signifie d’accepter qu’une terre soit vidée de sa population qui y vit depuis toujours, et d’accepter de plein gré d’être purement et simplement massacré. Si tout cela entre dans la catégorie « séparatiste », alors parler ne veut rien dire. Quant aux « affrontements entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan », c’est de manière totalement unilatérale, mais soigneusement préparée, que l’Azerbaïdjan a attaqué toute la ligne de contact entre son territoire et celui du Haut-Karabagh depuis ce 27 septembre. L’Arménie n’a aucun intérêt à faire la guerre. L’Azerbaïdjan a, au contraire, tout intérêt, elle, à l’enflammer.
J’ai pu voir sur place, de mes propres yeux le fanatisme revanchisme qui sévit à Bakou et dans tout l’Azerbaïdjan.
Il faut savoir aussi que des arméniens ont été victime de sanglants pogroms à Soumgaït et Bakou le 27 février 1988 au tout début de la guerre du Haut-Karabagh.. Le massacre a été perpétré par les forces armées et une partie de la population azerbaïdjanaises. On comprend aisément que les Arméniens du Haut Karabgh n’ont aucune envie de se retrouver, à nouveau, sous la coupe des azéris !
L’implication « totale » selon ses propres dire aujourd'hui de la Turquie d’Erdogan dans le conflit et qui affirme qu’il convient de « récupérer des terres occupées » et qui déclare aussi que « l’Arménie est la plus grande menace pour la région du Caucase » ravive le souvenir du génocide arménien par l’empire ottoman entre 1915 et 1917, responsable de la mort de largement plus d’un million d’Arméniens. La communauté internationale doit se mobiliser pour empêcher cette menace existentielle sur le peuple arménien qui a déjà assez souffert. »
Georges Dallemagne, député fédéral, membre également du Cecle d’Amitié précise qu’ « Erdogan ne cache pas depuis longtemps sa volonté de recréer une forme de califat ottoman et de tenir le rôle de grande puissance régionale. Il multiplie les tensions régionales et exacerbe le nationalisme turc pour galvaniser sa population en proie à de graves difficultés sociales et économiques. Il n’hésite pas à multiplier les fronts, menant des proxywars via des milices islamistes en Syrie, en Libye et maintenant en Arménie, en plus de ses provocations à l’égard de la Grèce en Méditerranée. Il verrait bien l’Azerbaïdjan prendre ses distances vis à vis de Moscou ce qui renforcerait considérablement sa zone d’influence. »
Par ailleurs les informations qui nous sont communiquées démontrent que la situation sur le terrain devient de plus en plus préoccupante. Le nombre de victimes de part et d’autre continue d’augmenter, pour l’instant les appels au retour à la paix n’ont eu aucune influence positive, car les forces azerbaïdjanaises continuent l’agression et bombardent maintenant la ville de Vardenis en République d'Arménie. Elles y ont même incendié un bus civil.
Ce qui rend cette guerre particulièrement dangereuse, c’est le soutien officiel, public et provocateur de la Turquie à l’Azerbaïdjan. L’information sur le fait que la Turquie ait recruté plus de 1000 djihadistes, auparavant actifs en Syrie et en Libye, et les a envoyés en Azerbaïdjan, est désormais relayées par des médias internationaux comme Forbes, Reuters et The Guardian.
Ceci est d’autant plus inquiétant, que les toutes dernières informations reçues d’Erevan nous indiquent la présence d’un avion militaire turc F16 dans les aires arméniennes qui a déjà frappé et touché des cibles arméniennes.
L’heure est donc grave pour l’Arménie et l’Artsakh (Nagorno Karabagh). Nous attendons de l’Europe qu’elle se montre influente et exigeante envers l’Azerbaïdjan et la Turquie pour un retour rapide à la paix.
Enfin, je vous invite à rejoindre la communauté arménienne de Belgique qui se réunira le jeudi 1er octobre 2020 à 17h30 à la rue de la Loi, entre le Rond-Point Schuman et le Parc du Cinquantenaire afin de manifester contre la guerre et exiger des actions plus concrètes de la part de l’Europe.
Amicalement,
André du Bus
Député honoraire, membre du Cercle d’Amitié belge francophone avec le Nagorno Karabagh
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